La peau des mots

Un moment parfait. Nous avons tous vécu ces moments de grâce, d’autant plus précieux et intenses qu’ils sont rares, qui nous transportent, nous ravissent et nous laissent sans voix. Un paysage ou une œuvre sublime, un met raffiné ou un baiser enivrant, une musique divine ou un murmure troublant, des flagrances enchanteresses ou un arôme délicat, le frôlement d’une main ou une caresse audacieuse. Ce moment parfait nous procure une forme de jouissance, différent de l’orgasme physique, sans être moins intense, de chaque sens. Un instant vertigineux qui nous renverse.

Aucune illustration ni photo ne pourrait selon moi suggérer l’un de ces moments qui nous marquent à jamais et restent tatoués sous notre peau. Si ce n’est une sorte d’allégorie…essai_nucleaire

Il y a aussi la jouissance des mots, ceux que l’on lit ou que l’on écrit et ceux que l’on prononce, car les sens exultent si l’esprit s’exalte.

Elle est légèrement adossée contre un oreiller en train de lire à mi-voix. Un passage de son livre de chevet. Sa poitrine nue se soulève à peine à chaque respiration entre les paragraphes. Un léger drap, défait et plissé, sculpte le galbe de ses jambes entrebâillées.
Étendu et nu également à ses côtés, il l’écoute, yeux clos. Il savoure son timbre languide sur ses phrases fluides, visage posé à hauteur de son téton gauche, main entre ses cuisses. Elle sent le bout de son sexe palpitant cogner contre sa jambe par intermittence, dont la fermeté ne lui laisse aucun doute sur ses intentions.
Sa lecture, perturbée par cette langue sur son mamelon, par la pression des doigts le long de ses lèvres jusqu’à son bourgeon, s’en ressent. Elle hésite, elle soupire, elle bute sur des mots.

Lorsque deux doigts s’aventurent dans sa fente chaude et juteuse, elle ne peut retenir un gémissement en balbutiant une phrase. Elle aimerait refermer le livre pour s’abandonner aux caresses mais il insiste pour qu’elle poursuive. Elle lui sourit, plonge son regard dans le sien et cède à ses arguments silencieux.

Les doigts s’activent sans hâte, ressortant parfois pour mieux l’envahir à nouveau et troubler son regard, qui s’efforce en vain de déchiffrer la page en cours.

La bouche quitte son téton, affolé par ses agaceries, pour descendre le long de son ventre et laisser sa langue remplacer ses doigts. Les mains en profitent pour se glisser sous ses fesses afin de les empoigner et mieux plaquer son bas-ventre contre son visage, l’empêcher de se soustraire ne serait-ce qu’une seconde à la persistance des sensations. Il s’imprègne et s’abreuve de son miel onctueux et luisant. Elle l’y aide d’ailleurs en se cambrant subrepticement.

La sensation d’être ainsi empoignée d’un côté et léchée de l’autre lui fait chevroter la voix et interrompt à plusieurs reprises son récit de plaintes et de soupirs haletants.

L’une de ses mains quittent alors le livre pour caresser l’un de ses seins par réflexe.

La vivacité de cette langue, ses mains qui étreignent et immobilisent sa croupe impudente, ne lui laissent aucun répit pour reprendre son souffle. Sa vue se trouble. Les phrases sur la page perdent leur sens au fur et à mesure que les siens s’embrasent.

Alors il s’éloigne un instant et l’incite à se retourner pour poursuivre la lecture sur le ventre. Elle obtempère aussitôt dans un mouvement brouillon, avec une pointe d’impatience fiévreuse. Cependant, il tient encore à l’entendre lire. Même si sa lecture s’apparente plus à présent à une mélodie balbutiante, spasmodique, qu’à un récit structuré.

Le membre tendu à l’extrême s’engage à l’orée de son refuge gorgé, l’explore centimètre par centimètre pour la sonder en profondeur. Il oscille ensuite accentuant sa vivacité et son ardeur, comme ses effets sur le rythme, les modulations et le phrasé de la voix.

Bientôt, les élans de cet archet vigoureux prennent une telle amplitude que la lecture en devient vibrante, presque incantatoire.
Les mots deviennent des râles, des onomatopées suaves comme des feulements.
La jouissance la surprend à la virgule près, suspend son corps comme un point d’exclamation.

copyrightArticle passé en relation avec celui-ci : J’ai raté ta vie.

Publié par

Francis Palluau

Scénariste, auteur, réalisateur, professeur, consultant touriste sédentaire.

28 réflexions au sujet de “La peau des mots”

  1. Faire la lecture à quelqu’un
    pendant qu’il …
    vous fait la lecture.
    __
    Un texte que je lis le jour de la fête des mères
    et qui me semble en ce temps, fort à propos (sourire)²

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  2. Bon jour,
    Superbe texte aux lignes crescendo, aux flux de la voix en des vagues tranquilles se transcendent à la baguette du maestro et la symphonie du plaisir s’intensifie jusqu’aux sèves débordantes.
    Max-Louis

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  3. Rien que le titre était déjà un plaisir…accrochant, parlant, invitant…
    Et ce moment, que vous partagez ici dans un écrit le rendant très visuel, titille l’esprit d’une manière bien agréable.
    La lecture à voix haute de certains textes, que ce soit pour nous-même ou une/des autre/s personne/s est absolument délectable.

    Merci donc pour la suggestion.

    (Si je puis me permettre : « UN instant vertigineux qui nous renversE. ») Mais j’avoue que parfois, un instant vertigineux peut nous renverser de telle manière, qu’on pourrait le mettre au pluriel 😉

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  4. « Elle obtempère aussitôt dans mouvement brouillon »……il serait dommage de laisser cette phrase en mal de *mot* même si j’aime le brouillon du mouvement…………le peau à peau des mots……le tout dans un sourire

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  5. Beau texte qui me fit penser à certains livres d’Alain Fleisher et à Crash de Cronenberg, qui sont loin d’être dépourvus de qualités.
    Et qui au début me donna quelques craintes, car à la suite d’une lecture d’un livre sur la bibliothérapie, je commençais à écrire un texte, posant quelques mots sur la sensualité de la lecture à mi-voix, un petit jeu auquel je m’adonne parfois avec un certain plaisir, encore que ce soit plus de l’ordre du chuchotement que du mi-voix. Alors commençant à lire votre écrit j’ai cru que nous allions rouler en parallèle sur les ondes des mots, ce qui est toujours gênant. Il n’en ai rien grâce à un heureux aiguill age qui nous dirige dans des directions différentes. Je peux donc continuer à creuser mon plaisir solitaire.

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    1. Me voici aux anges. C’est aussi en effet une sorte de parabole sur le plaisir, solitaire ou non, à dire un texte, à entendre les sonorités d’un texte. Certains sont faits pour être prononcés, et non des moindres. Ceux de Maïakoski par exemple. Je ne connais pas Alain Fleisher, je vais donc m’empresser de me procure un de ses livres !

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  6. …Hé bien!… Bravo Francis!… J’ai du mal à trouver les mots, mais « c’est tout pareil que Caroline » pour moi. Magnifiquement écrit, décrit, senti, sans que ce soit jamais gênant, de la vraie, belle, dentelle, qui fait du BIEN! Merci et encore Chapeau Francis!

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  7. Whow… A tenter ! 😉
    Je retiens « les sens exultent si l’esprit s’exalte », et « les phrases perdent leur sens quand les siens s’embrasent », magnifiques…
    Comme l’introduction ne le laissait pas présager, je me suis laissée surprendre par ce texte, et c’était… un très joli moment de lecture. Merci !

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    1. Les sens exultent si l’esprit s’exalte.

      L’inverse est vrai aussi; L’esprit s’exalte si les sens exultent.

      La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer jusqu’à l’âme
      La Pesanteur et la Grâce de Simone Weil

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      1. Pas de mon point de vue justement. Les sens dépendent de l’esprit et non l’inverse. Ce qui touche l’un, ce qui l’émeut, ne touche pas nécessairement son voisin. Simone Weil ne dit au fond pas autre chose, puisque la beauté est une notion de l’esprit, la beauté varie en fonction de qui la regarde, de l’époque, de la culture, donc de l’esprit. C’est donc l’esprit qui séduit la chair, c’est à dire les sens.

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