Nouvelle aventure tout à fait ordinaire d’un homme tout à fait banal.
Aujourd’hui, Sizif nous entraîne vers les passages cloutés, ces passerelles virtuelles en pointillés, ces pansements posés sur le bitume, qui permettent de franchir à pieds le flot infesté de piranhas motorisés… Deux roues foudroyants, gaz venimeux, poids lourds traitres, bus contagieux, taxis funestes, berlines agressives, camionnettes vicieuses…
La plupart du temps, Sizif traverse les rues sans emprunter les clous. Sur ce point, il est bien français. Cependant, il ne le fait pas par inadvertance, distraction, provocation puéril ou par j’m’en branlisme (version hardcore du j’m’en foutisme), mais par principe. Il les évite sans exception. Il s’en est fait une règle de conduite intangible, dictée par un raisonnement simple, lui même nourri par l’observation de ses congénères, pédestres ou véhiculés, et l’étude approfondie du taux de mortalité dans ces endroits névralgiques…
Suivons ainsi les sinuosités réflexives Sizifesques. Si, si.*
Le piéton commun, de l’espèce des bipèdes citadins, qu’il soit à semelles de crèpes, à bottines en skaï, ou à basket fluos, aborde en général ces bandes d’une blancheur pas tout à fait immaculée comme un sanctuaire, un lieu privilégié, protecteur, comme son terrain de prédilection. En conséquence, sa vigilance se relâche, d’autant plus lorsque le bonhomme du signal vire au vert.
Il s’élance alors, seul ou en troupeau, dans un sens ou dans l’autre, sans plus trop se préoccuper des ennemis au volant, des prédateurs au guidon. Or, ceux ci, aussi bien intentionnés soient ils et respectueux du code de la route, ce qui n’est malgré tout guère la coutume sous nos latitudes latines, peuvent être victimes d’une distraction fatale. Un instant d’inattention provoqué par un sms intempestif, une passagère au décolleté ou à la longueur de jupe incompatibles avec une conduite lucide, ou encore par un coup de moins bien, un coup de trop, voire un mégot échappé par mégarde, chutant entre les cuisses, et dont la braise rappelle, sans crier gare tout en provoquant un hurlement que, si fumer peut entrainer un cancer, cela peut tout autant brûler au troisième degré des zones érogènes.Et boum. Un piéton éparpillé.
Vous l’aurez saisi, Sizif s’échauffe vite envers les automodébiles.*
A contrario, si vous vous lancez hors de ces sentiers balisés, vous gardez les sens et l’esprit en alerte. Vous anticipez, vous évaluez, vous restez vigilant, aux aguets. Vous prenez conscience de la jungle urbaine qui vous entoure, de ces dragons cracheurs de CO2, de ces fauves immatriculés prêts à se repaitre d’une proie inconsciente du danger. Le risque d’être renversé est donc en réalité moindre de s’affranchir de ces repères que de les suivre aveuglément.
Ainsi avisé, Sizif vit sa devise*
« Passer et penser hors des clous, ou trépasser.«
Ce qui est valable pour le piéton l’est encore plus pour l’homme. Vivre et penser par soi-même, sans prendre pour bonheur comptant, ce que l’on nous affiche sur les panneaux… Eviter les chauffards de la morale comme les agents du conformisme, ne pas succomber aux excès de bienséance et outrepasser les limites de la bienpensance, transgresser le code du permis de vivre.
Du moins s’y efforcer. Cela lui arrive de céder aux sirènes de la facilité, de prendre le métro des idées toutes faites, par lassitude ou résignation. Vivre hors des clous est un effort perpétuel plus grand encore que pousser un rocher jusqu’au sommet d’une colline. Il faut affronter la solitude et le vertige de l’incompréhension, les frimas des jugements hâtifs, la peur de se perdre sur des raisonnements de traverse, d’errer sans but dans les méandres de l’espoir et des illusions, de traquer sans cesse et en vain des chimères.
Mais cela permet de se sentir vivant, de s’émerveiller encore comme un enfant. C’est même cette attitude qui l’a conduit à exercer sa fonction, à la fois vaine et cathartique. Sizif est payé à la tache et au pourboire dans le parc d’attraction ou il exerce, Olympia land, pour les touristes amateurs de mythologies gréco-latines. Il retrouve chaque jour son roc de résine et sa colline de béton, il enfile sa toge en viscose et nylon, imitation chanvre, avec un plaisir renouvelé pour endosser ce rôle taillé sur mesure de monsieur tout le monde confronté au poids écrasant du sens de l’existence.
Il est ainsi, Sizif.
Liens vers les épisodes précédents :
« Il faut imaginer Sisyphe heureux » Albert Camus
Sans voiture, il le serait bien plus. Pour lui, la voiture reste le moyen de locomotion comme d’aliénation le plus sur pour perdre du temps, de l’argent et ses nerfs.
* A lire à voix haute, excellent exercice de diction.
Hi Hi Hi! Bien vu et bravo! J’ai failli le rater, ce billet et j’aurais raté quelque chose!
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Merci Emilie…
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De mieux en mieux, cette série ! Amusante et judicieuse, pleine d’esprit, de style et de trouvailles visuelles. J’attends la suite avec impatience.
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Merci pour vos encouragements. Et bienvenue sur ce blog, à bientôt donc avec plaisir !
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Dans le Sud (le grand … par exemple Marseille, … la Calabre )
si, au volant d’une voiture, on s’arrête pour laisser passer quelqu’un qui est au bord d’un passage clouté, on risque fort de se faire faire un geste assez leste qui veut dire à peu près
« allez ! passe ! Je ne te connais pas, et je peux me débrouiller tout seul … encore »
(sourire)²
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C’est vrai, ça m’est arrivé en voiture. Curieux d’ailleurs cette défiance, quasi spontanée, entre piéton et automobiliste, que l’on soit l’un puis l’autre…
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Ah oui, et le type qui veut faire le gentil, quand vous freinez au moment où le feu passe au vert alors que vous alliez traverser dans les clous, genre: »Bon, allez-y ma p’tite dame, j’fais l’effort de patienter quelques secondes pour vous! » sans calculer le fait qu’il n’est pas tout seul sur la route et que d’autres déboulent, sur la voie d’à côté, pas forcément disposés à vous faire la même « fleur », n’ayant même pas remarqué le petit manège, et vous voici en short ou écrabouillée! MERCI BIEN!
Non non. Moi aussi, comme Sizif, je suis plus tranquille en traversant n’importe où, du moment que la visibilité y est bonne!
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Ça, c’est du vécu… ! Rien ne remplace l’expérience ! D’autant que j’ai remarqué également que les voitures accélèrent souvent à l’approche d’un feu, pour passer vite le carrefour avant que le rouge ne vienne. Merci Marité !
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Je ne pensais pas que Sizif avait ainsi le goût des risques … Jusqu’à présent il me semblait assez routinier. Mais, en fait, c’est un vrai aventurier
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Disons qu’il pimente son quotidien pour ne pas s’endormir et rester à l’affut !
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« Ainsi avisé, Sizif vit sa devise », voilà que je vais la réciter chaque soir une vingtaine de fois – il faut bien ça. Les mots ont tendance à vite s’emmêler passé 17h… Merci, donc !
Quel article, comme toujours ! (même si je ne commente que très peu, ingrate que je suis).
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Merci beaucoup, ça me touche vraiment. C’est vrai qu’un commentaire est toujours agréable, même court, autant sinon plus qu’un like, car cela participe de l’esprit du blog, à savoir l’échange. Mais je n’en mets pas toujours non plus, le temps…
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Si vous n’existiez pas, monsieur, moi je dis qu’il faudrait vous inventer…
Et dites-moi, petit aparté, ce Dustin De Niro, il a joué dans un de vos films?
J’me suis dit aussi en vous lisant que vous pourriez peut-être intituler l’ensemble de cette série comme suit : SIZIF ou L’EXERCICE QUOTIDIEN DE LA LUCIDITÉ.
Au plaisir, cher monsieur.
Mais sans blague, il a joué dans un de vos films ce Dustin De Niro?… Il parait qu’il est fort.
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Très beau sous titre pour une série, merci Caroline ! Pour l’acteur, non, vous avez du confondre avec Robert Hoffman, qui lui donne la réplique dans Cowboy driver…
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Sûrement.
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Tout d’abord merci pour vos allitérations qui m’ont bien fait postillonner sur l’écran de ma tablette en essayant de les prononcer; elle en avait besoin.
Ensuite, une question que je me pose: si Sizif ramène du boulot à la maison, pousse-t-il son rocher hors du passage clouté pour traverser la rue? Je serais curieux de voir ça.
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Ah non, il laisse son rocher en résine dans son parc. Il ne travaille qu’aux heures ouvrables, samedi et dimanche compris en revanche. Mais il a droit a des congés. Les mythes se sont adaptés au monde moderne…
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Dans ce cas, il est facile à Sizif de faire le zozo entre les autos qui zigzaguent *.
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Ah mais les choix fondamentaux ne s’évaluent pas selon leur degré de difficulté !
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C’est bien vrai ce que vous dites là.
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Mettre au clou les conditionnements, les habitudes, les lois et les contraintes, le mont de piété va être débordé; mais ça vaut son pesant de liberté!!
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La liberté à un coût, c’est certain mais elle a aussi une valeur inestimable, et de plus en plus… ça reste donc toujours une excellente affaire. Merci Dominique !
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Bravo Francis pour ces nouvelles aventures. J’aime beaucoup le gif malicieux « Midnight driver » qui réunit un sacré casting. Dustin De Niro, c’est l’acteur idéal ? Vivement la suite !
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Merci Jérôme.Je me suis bien amusé avec ce gif en effet. Mélanger deux films cultes, comme dans le précédent, pourrait devenir récurrent dans ces aventures. D’autant que ces deux acteurs ont très peu joué ensemble (une seule fois je crois, de mémoire) et cet extrait est aussi intéressant par l’anecdote. En effet, j’ai appris que sur le tournage, le taxi n’était pas prévu et l’intervention de Dustin Hoffman fut improvisée.
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Il faut savoir choisir, se faire écraser dans le cadre de la loi ou en hors la loi. Difficile choix pour Sizif !
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de le cadres de la loi ou en dehors de la loi
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Jusqu’à présent, il a réussit à survivre hors des clous… en tous cas, un grand merci Charef, pour suivre ses aventures.
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Nous ne saurons pas de quoi ne parlera pas Sizif la prochaine fois…
Comme je comprends Sizif, ne traversant moi-même jamais lorsque le bonhomme me le permet selon les règles mais lorsque je le peux (ça m’évite dorénavant de me faire traiter de salo… par les gentils automobilistes).
Je retiens l’expression Le métro des idées toutes faites.
Pourrons-nous avoir un prix de groupe en tant que sizifettes pour nous rendre à Olympia land ? Voir Sizif dans sa toge en viscose, le rêve.
Très bon le gif Le combat va commencer.
Plein de choses délectables encore là dedans. Sizif se bonifie avec l’âge ou peut-être est-ce simplement un plaisir renouveler que de lire ses aventures. J’imagine déjà un livre avec des pop-up, des tirettes, retraçant toutes les aventures de Sizif.
C’est bon, tout ça, Francis. Très bon.
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Merci ‘Vy. Vous serez toutes invitées VIP à Olympia Land dès qu’il rouvrira ses portes… Pour le projet de livre pop-up que tu imagines, cela m’a effleuré l’esprit dernièrement. Nous verrons cela au bout d’une bonne douzaine d’épisodes au moins…
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Oui, c’est une très bonne idée. Je commande déjà mon exemplaire dédicacé.
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Si jamais cela se réalise, je te le promet, pour tous tes encouragements et ta fidélité.
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« La plupart du temps, Sizif traverse les rues sans emprunter les clous. Sur ce point, il est bien français. »
D’ailleurs, si on essaye d’exporter ce principe en Grande-Bretagne, on se fait klaxonner sans répit (même par les vélos).
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Aux USA aussi. Et à mon avis dans bien d’autres pays, surtout nordiques…
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Nous sommes des rebelles.
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En tout cas, n’essayez pas en Suisse non plus : on vous trancherait la gorge pour moins que ça !
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Honte à moi, je ne suis allé qu’une seule fois en Suisse et j’étais encore enfant… Mais le cliché veut que la suisse soit très propre. On la lui trancherait donc proprement…
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Olympia land?? J’en rêve déjà!
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Il y a de quoi faire, n’est-ce pas ? Merci Henriette !
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Sizif est un sage qui prend soin de lui, plutôt que d’attendre que les autres le fassent pour lui.
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Merci Martine, un sage, je ne sais pas… mais qui s’efforce d’être lui-même et d’être aux petits soins pour ceux qu’il aime, je le crois.
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Ouf, enfin quelqu’un qui comprend les hors-la-loi du tout puissant politiquement correct. Bravo Sizif. Le tout, c’est de ne pas te faire écrabouiller par le premier malvenu, celui qui pousse sur la pédale de son engin sans en avoir rien à faire du reste du monde, le petit, le piéton, le minus, le fragile, l’individu sur ou hors les clous ! Pour ce faire, ce dernier doit presque passer inaperçu, se faufiler, être rapide, car alors l’imbécile et son mastodonte ne le voient pas !
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Merci Anne, il est frondeur mais pas inconscient !
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