Imaginons un bloc de lave figé dans le Pacifique… Vu du large, ça ressemble à un galet malpoli qui aurait ricoché sur l’océan avant de se pétrifier brutalement en plein élan, sur un récif de corail. L’îlot Kessa porte ce nom comme il peut depuis qu’un couple de rats y débarqua d’une planchette vermoulue qui dérivait. Il y a de ça deux siècles environ. Soit le 18 novembre 1823, à 19 heures 15 précises heure locale, c’est à dire à vue de nez pour les insulaires, les Papluss.
Ces répugnants rongeurs, inconnus des autochtones, copulèrent à tout va, croissant et se multipliant sans frein ni pudeur. Coups de talons et ruses diverses, telles que » risette à papa « , se révélèrent vite dérisoires pour endiguer cette prolifération. Les Papluss organisèrent même en vain une battue à la tapette à moules, seule arme de destruction massive jamais inventée par cette peuplade, déjà terriblement inefficace contre les mollusques bivalves.
En trois mois, la maigre population (en nombre) qui vivait jusque-là insouciante sur ce lambeaux de paradis devint vraiment maigre (de corpulence) et plus du tout insouciante.
C’est alors que Gustave Mérinos accosta l’îlot, à bord de sa pirogue à pédales et à remorques, qu’il avait baptisé jetski pour se donner de l’importance.
GUSTAVE MERINOS, EXTERMINATEUR AGREE.
Poux, punaises, cafards, rats, etc…
Satisfait ou remboursé
Il accosta donc, après avoir cependant vérifié à la longue vue que ses nuisibles bestioles lui avaient préparé convenablement le terrain. Sitôt posé le pied sur la terre ferme, il proposa ses services aux Papluss qui acceptèrent à main levée, dans l’allégresse générale. Une fois les présentations faites cependant, selon un rite qui se perd dans la nuit de la veille, car ils avaient un grand sens de l’improvisation.
Chacun leur tour, ils lui tendirent la main en le saluant d’un « koman sava ? » pour la retirer avant que Mérinos ne puisse la leur serrer, en ajoutant « Papluss Kessa! ». Puis ils se prosternèrent en se roulant sur le sol, le corps en transe secoué de spasmes de fou rire, face à la mine consternée de cet étranger.
Dans la semaine qui suivit, l’extermination fut sans bavure car notre homme avait suivi un stage de formation à la dératisation municipale de Paris.
Les insulaires le vénérèrent à l’égal de leur Dieu « Kessa ». Ils lui firent offrande de leurs plus belles vierges, à vrai dire une seule et encore, vierge Papluss Kessa selon leur coutume locale, ainsi que de son poids en Bigorneaux, principale ressource de l’îlot. Dès le lendemain, profitant de l’état de grâce qui le portait, Gustave se fit élire gouverneur en chef et à vie à la majorité absolue. A la suite de quoi il prononça un discours enflammé, quoique bref et somme toute assez démagogique, aux dires des historiens. Discours dans lequel il dévoila à son peuple le plan quinquennal qu’il comptait instaurer.
— Si on a pas envie de voir rappliquer les rats, on aurait intérêt à pas mégoter sur les vierges ! Quant aux Bigorneaux, je vous les échange contre du homard… Maintenant, laissez passer le Mérinos !
Cette dernière réplique nous ait parvenus légèrement déformée. Je tiens ici à la rétablir dans sa forme originale. Poursuivons. Sur ce, Gustave premier s’en alla méditer dans un silence de mort ponctué de pouffements sur la composition de son gouvernement.
Pour être tout à fait honnête, précisons que d’éminents ethnologues ont cherché depuis à réhabiliter Mérinos, prétendant que celui-ci fut un chef d’état moderne, au sens prémonitoire étonnant. Car il instaura des mœurs et des règles de vie qui inspirèrent le plus populaire des réseaux sociaux du web : Facebook. Par exemple, lever le pouce face à un acte spectaculaire, surprenant ou émouvant. Plus il y avait de pouces levés, plus celui qui avait fait cet acte était populaire. Le but ultime étant de compter le plus d’amis possibles.
Hélas, les Papluss, de par leur population réduite, ne comprirent pas l’intérêt de cette démarche. Ils étaient déjà tous amis puisque consanguins depuis plusieurs générations. Refusant ce bond incontestable vers le progrès et la civilisation, ils finirent par revendiquer leur autonomie. A la surprise générale, Gustave premier leur accorda. Entretemps, son règne avait duré une décennie et il commençait à s’ennuyer passablement sur ce galet paumé dans le Pacifique avec son nom à la con et sa tribu primitive même pas foutue d’inventer le wifi. Mais surtout, rien que de renifler un bigorneau lui filait des plaques d’urticaire.
Il rentra donc à Paris ou il devint, à ce qu’il parait, ministre des Dom-Tom, bien plus tard et sous un autre nom, bien sur…
Un grand merci à ‘Vy pour ce dessin, pour suivre son excellent blog, c’est par ici : les oiseaux dans le bocal.
La tapette à moule, aussi irrésistible que le texte qu’elle accompagne!! Bravo et merci ‘vy pour ce prototype (un prochain Lépine?). Il est fort astucieux ce petit guichet par lequel se glisse la pauvre créature avant le clapet final… aïe.
Digne cousine des « objets introuvables » de Carelman que j’affectionne:
http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=13532
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Merci pour le lien, je l’avais oublié et je le revois avec jubilation!
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Merci Francis pour ces tordantes révélations !
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C’est très drôle !
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Merci !
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Plaisante récréation! Existe-t-il quelque croquis de la tapette à moules? Je peine un peu à me l’imaginer…
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Là, étant très médiocre en dessin, vous pourriez peut-être demander à ‘vy, ou à Gilles de vous en montrer une. C’est un curieux mélange de tapette à souris et à mouches.
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‘Vy vient de nous offrir une tapette à moules en exclusivité mondiale !
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Ah, oui, l’expression légèrement déformée ! De même que celle des Papluss : « Tant va le cachalot ne dit mot qu’on sent ». C’est fou comme les histoires vraies peuvent être déformées par le quand dira-t-on… Heureusement que les gens de lettres rétablissent la vérité de l’information et de l’histoire !
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N’est-ce pas ? Je vais d’ailleurs peut-être me lancer prochainement dans une encyclopédie des expressions déformées !
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Non mais ça va pas de me faire rire comme ça devant mon écran ? Ma lecture en a été très contrariée, j’y voyais plus rien.
C’est amusant, je regardais cette photo de la sculpture de Yue MInjun, hier en feuilletant… Télérama, je crois. J’étais allée voir l’exposition de cet artiste à la Fondation Cartier. Très bonne expo.
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L’un de mes plus grandes joies est de faire rire. A quand les commentaires sonores, que je puisse entendre vos rires ?
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Voir les rires, c’est certainement encore plus drôle, du moins pour ce qui me concerne.
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C’est vrai. Il faut donc trouver le moyen d’inclure Skype dans le blog. Ce serait amusant de pouvoir voir les autres en train de lire vos textes, voir leur expression…
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Ah ben oui, tiens, je sais pas pourquoi, mais je m’y attendais à celle-là.
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Si je deviens prévisible maintenant… je retourne sur mon îlot.
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Manger des bigorneaux ?
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Des oiseaux dans un bocal, c’est mon plat favori.
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Attention de ne pas t’étouffer avec les plumes.
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Oh mais je sais cuisiner, je te donnerais peut-être ma recette un jour…
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Hum…
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Un grand merci, ‘Vy pour ce dessin de tapette à moules, à faire breveter en urgence !
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C’est toi l’inventeur. Merci à toi.
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« Le rire permet de résoudre les problèmes sans douleur ni chagrin et ainsi atteindre la paix intérieure » : j’ai atteint la paix intérieure avec ton récit ! Savoureux et même « pluss kessa »!
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Merci bien, j’étais d’humeur joyeuse et potache depuis hier.
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